samedi 11 avril 2009

Maroc: une escale qui dure pour les migrants

Maroc: une escale qui dure pour les migrants
Par Julien Félix


Faute de pouvoir atteindre l'Europe, de plus en plus d'Africains, candidats à l'immigration clandestine, restent au Maroc. Traditionnellement pays de transit, le royaume devient une terre d'accueil.

Le rituel est devenu quotidien. Peu avant le lever du jour, des silhouettes se déplacent en silence dans les ruelles de Takkadoum. Dans quelques heures, ce quartier désoeuvré de Rabat grouillera de badauds et de marchands ambulants. Mais, pour l'heure, seule cette étrange procession vient rompre la quiétude de l'aube.

Ils sont ivoiriens, sénégalais, maliens, congolais, gambiens... Tous clandestins, ils espèrent chaque matin décrocher un hypothétique petit boulot comme maçon, jardinier ou manutentionnaire. Les employeurs peu scrupuleux de la capitale apprécient cette main-d'oeuvre docile, bon marché et surtout non déclarée.

Une âpre négociation s'engage entre un groupe de Congolais et un chef de chantier marocain. Le salaire proposé est misérable: 30 dirhams (moins de 3 euros) pour une journée de dur labeur, sans le transport ni le repas du midi. Après une dizaine de minutes de palabres, l'affaire finit pourtant par se conclure. Impossible de rechigner quand on ne possède rien...

"Les Marocains ne nous aiment pas"

Depuis quelques années, les immeubles décrépis de ce faubourg enclavé entre les somptueuses villas de la route des Zaers et la zone industrielle en contrebas accueillent des centaines de migrants subsahariens. Profitant de leur désarroi, beaucoup de propriétaires louent au prix fort des chambres où s'entassent parfois jusqu'à une trentaine de personnes. Les contacts avec la population locale sont rares.

"Les Marocains ne nous aiment pas, affirme Achille, un Congolais échoué dans le royaume depuis trois ans. La plupart du temps, ce sont des insultes racistes, parfois carrément des agressions. Et même des coups de couteau!" A Takkadoum, chacun vit dans la crainte permanente des rafles.

De sa fenêtre, Aboubakr regarde la colline d'Al-Nahda, juste en face. "C'est par là que l'on s'enfuit pour se cacher dans la forêt quand les policiers arrivent, explique-t-il. S'ils t'attrapent, ils peuvent te tabasser, et après, ils te reconduisent à la frontière algérienne."

Ce jeune Sénégalais a déjà été refoulé à trois reprises. Chaque fois, il a parcouru plusieurs centaines de kilomètres à pied pour revenir. "Que faire d'autre? Je ne peux pas rentrer chez moi! Que vont dire les miens s'ils me voient revenir encore plus pauvre qu'à mon départ?"

Photographe, il a tout vendu pour se payer ce voyage de tous les dangers: son commerce, son appareil photo, ses objectifs... Malgré deux tentatives infructueuses pour traverser la Méditerranée, il rêve encore d'Europe. Quand il en parle, ses yeux tristes s'allument d'une nouvelle lueur.


Ils sont nombreux à tenter la traversée vers l'Europe, comme ici à l'île des Canaries, en août 2007.

"En Europe, ça sera mieux, n'est-ce pas? On ne traite pas les gens comme ça là-bas ! Et puis, il y a du travail! Ce n'est pas comme ici...", répète-t-il inlassablement, comme pour s'en convaincre. Une litanie qui semble exaspérer Sadio, son compagnon d'infortune. "Il rêve, lance-t-il sèchement. En Espagne, en France ou au Maroc, c'est la même chose: personne ne veut de nous!"

Parce que l'Europe se barricade toujours un peu plus et que les chances de réussir la traversée se réduisent comme une peau de chagrin, le Maroc, longtemps terre de transit, est devenu un pays d'immigration par défaut. Du coup, le royaume a lui aussi durci sa législation.

"Depuis 2003, le Maroc criminalise l'immigration et l'émigration clandestines, explique Anne-Sophie Wender, représentante à Rabat de la Cimade, un vaste réseau associatif qui s'occupe des migrants à travers le monde. Toute personne qui entre ou tente de sortir du territoire marocain de façon clandestine risque jusqu'à six mois de prison. Plus si elle est reconnue comme passeur. On a même vu des clandestins se faire arrêter à l'aéroport alors qu'ils tentaient justement de rentrer chez eux après avoir longuement économisé pour s'offrir un billet de retour."

Les indésirables... contraints de rester!

Drôle d'incohérence que de contraindre les indésirables à rester... Ces dispositions, très critiquées par les associations marocaines ou internationales qui tentent tant bien que mal de protéger les droits des migrants, privilégient l'aspect sécuritaire, au détriment des préoccupations sociales.

Calqué sur l'ordonnance française de 1945, le texte prévoit même l'ouverture de centres de rétention sur le territoire national. De quoi combler les dirigeants européens qui cherchent de plus en plus à sous-traiter le contrôle des frontières aux pays limitrophes. Reste que, six ans après l'adoption de la loi, il n'existe toujours pas de décrets d'application: le Maroc ne semble pas prêt à jouer le gendarme de l'Europe à n'importe quel prix et se garde une marge de négociations.

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